avril 2023
ARTISANAT
Forge de caractère
Un véritable orfèvre de la forge aux idées crépitantes
Créativité, expérience et passion exacerbée au service du rêve.
Quelle est la différence entre un forgeron et un autre forgeron ? La réponse est très certainement l'intensité de la passion artistique qui se mesure plus que jamais dans la finalité d’une œuvre, qu’elle soit rêvée, innée, anticonformiste ou engagée.
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Nous sommes allés à la rencontre d’un forgeron détonnant. Julien Fraisse, professeur de technologie au collège Jean Monnet à Yssingeaux nous a reçus chez lui dans le hameau de Chamb de Bos, pour une démonstration de forge ; maîtrise de la matière et éblouissement des yeux ont été au programme.
De la rambarde aux bijoux, notre homme ne cesse de créer durant son temps libre. Une passion de la forge qui lui est venue de son grand-père, ancien forgeron, lorsqu’après la disparition de celui-ci et une adolescence terminée, il retrouve, conservés par ses parents, l’enclume et les outils de son aïeul. Déjà très bricoleur et touche à tout, il s’essaye alors à cette pratique et a un véritable coup de foudre pour cette matière très prenante qu'est l'acier. Aujourd’hui encore il pense qu’il forgera jusqu’à ce que son corps le lui interdise. Plus qu’une passion, une destinée ! |
L’essayer c’est l’adopter et le partager.
Président de l’association L’envol, persuadé de l’indispensable nécessité de partager son savoir-faire, c’est autour des thèmes médiévaux qu’il dispense ses conseils techniques, notamment durant les festivités du Roi de l’Oiseau au Puy-en-Velay. Les nombreux retours positifs des personnes s’étant essayées à la forge et ne pouvant plus s’en passer ont fini de le convaincre. La trentaine de forgeronnes et forgerons de l’association, professionnels et amateurs, dont font partie certains de ses anciens élèves du collège, démontre qu’aujourd’hui et c’est important de le préciser, les nouvelles technologies sont de moins en moins manuelles. L’accomplissement personnel de ce qui est créé ou réalisé de ses propres mains s’affiche peu à peu dans le registre des disparitions inquiétantes. Il lui tient à cœur, à ce forgeron passionné, d’enrayer au plus vite ce déclin pour ainsi obtenir une revalorisation du travail manuel.
Créateur de pièces uniques, ne souhaitant pas faire d’ombre concurrentielle aux forgerons, serruriers de métier, cet artisan du fer forgé jouit pleinement de sa passion en réinvestissant ses gains principalement et presque exclusivement dans l’outillage et la matière première. Ce n’est donc pas une activité à but lucratif, mais bel et bien un attachement viscéral à la pratique de la forge. Voilà ce qui motive Julien Fraisse à ce jour.
Il nous attendait de "pièces fermes" notre forgeron, posté devant sa forge aux allures exceptionnelles de dame d’antan. Il nous avait préparé quelques outils et armes forgées de style médiéval ou encore d’inspiration viking. Pour introduire les différents aspects techniques, il commence par nous expliquer comment historiquement on obtenait de l’acier : par soudure, pliages et étirements successifs afin d’affiner la loupe1 sortie d’un bas fourneau et d’éliminer un maximum d’impuretés du métal. On parvient ainsi à un matériau composite alternant des couches plus ou moins homogènes. Puis en combinant volontairement de manière précise le fer et l'acier et de nos jours le nickel, cette superposition de couches permettra de produire des aciers résistants et plus esthétiques, ressemblants aux tissus damassés. Ici, la lame du couteau en damas que nous montre Julien est constituée d’au moins deux cents couches successives lui offrant ainsi une forte résistance, le rendu n’en étant pas moins sublime. D’ailleurs, cette technique est aujourd’hui utilisée pour l’esthétisme plutôt que pour la solidité des lames de couteau. |
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À vos marques, prêts ? Allumage.
Cette forge achetée près de Rosières est ronde et volontairement située au point central de l’atelier de Julien. Graviter autour d’elle facilite l’accès à tous les outils, mais surtout offre une aisance de manœuvre. Particulièrement quand vous manipulez de très longues barres d’acier. Quelques morceaux de papier et de bois suffisent pour allumer le feu de la forge. Par habitude, dès que les premières flammes crépitent, l’artisan recouvre son foyer de charbon minéral. De là grandissent délicatement de jolies volutes de fumerolles. Elles envahissent petit à petit le plateau de la forge comme une brume ferait disparaître un bateau de pêche en pleine mer. Dès que celles-ci s’évaporent mystérieusement, laissant la place à de nouvelles flammes bien plus vives, le forgeron sait que sa flamboyante amie est prête à fondre l’acier.
Pour ce reportage Julien nous propose d’assister à la fabrication d’un vieux clou, de ceux que nous pouvons encore apercevoir fichés dans les anciennes portes de château ou des très vieilles fermes agricoles. L’histoire du clou s’ouvre alors à nos oreilles. Dans toute la partie est de la Haute-Loire et sa frontière avec le département de la Loire, le métier de cloutier était répandu. Vous connaissez tous plus ou moins l’expression : travailler pour des clous ! Nous allons bientôt comprendre ce qu’elle signifie. |
La tige d’acier est placée dans le feu et il ne faudra que deux brèves minutes à l’objet pour arborer un rouge vif, signal que la pièce est prête à recevoir les coups de marteau qui la déformeront. C’est grâce à son œil expérimenté que Julien sait quand ce moment est venu. L’ancestrale enclume est proche du feu car chaque mouvement compte. La tige pouvant refroidir rapidement, il convient de ne pas laisser trop de distance afin d’éviter des désagréments. Après quelques allers-retours au feu et sous les coups bien appuyés du forgeron, le bout de la tige d’acier rougit, s’étire finement jusqu’à permettre la formation d'une pointe de cinq centimètres environ.
Le clou prend forme à l’aide des outils fabriqués par l’artisan lui-même, car paraît-il, un bon artisan conçoit son propre matériel. Quatre derniers heurts sur la tête pour lui donner son aspect diamant et voici un clou typiquement ancien, même si de fait, il est fraîchement "sorti d’atelier" ! |
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Les anciens travaillaient pour des clous.
Nous y voilà ! Les anciens, qui très souvent étaient des agriculteurs, fabriquaient des clous à la forge pour arrondir leurs fins de mois. Le clou une fois achevé sur l’enclume tombait dans une caisse métallique. Les clous étaient ensuite revendus au kilo. C’est dire à quel point il en fallait des bouts de fer, battus pour être le mieux payé possible ! Quand un clou tombait en dehors du réceptacle, le forgeron ne le ramassait pas, trop de douleurs dorsales l’en empêchant et il allait bien plus vite à en fabriquer un de remplacement. C’est de cette manière qu’est née cette expression populaire qui aujourd’hui sous-entend "travailler pour rien". Après avoir assisté à la naissance d’un clou, Julien nous présente :
"Boris"
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Robuste, vigoureux et résolument énergique.
Une machine monumentale à la force de frappe digne d’une dizaine de russes trapus prêts à en découdre. D’où le prénom dont notre forgeron l’a affectueusement gratifiée. Après avoir mis au feu une barre plus épaisse que la précédente, Julien va nous dévoiler les capacités monstrueuses de Boris. La bête mise en route, le fer posé délicatement sur son petit billot d’acier, Julien appuie sur une pédale.
Dans un vacarme de tous les diables, entraînant secousses et vibrations, Boris tape à une vitesse proche de deux cents coups par minute sur le morceau de fer courageux qui finira étalé lui aussi en faisant des étincelles.
Il est peu de matière pouvant se vanter de finir en feu d’artifice sous des coups de butoir aussi violents ! Aucun humain ne peut remplacer cette "russe-ticité" mécanique. Boris est donc un très bon compagnon de forge et fait assurément partie du décorum de l’atelier. |
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Et d’où vient l’expression "le clou du spectacle" ?
L'expression date de la fin du XIXe siècle. Comme lorsque nous plantons un clou dans un mur pour y fixer quelque chose, il est ici question de "fixer" l'attention d’un spectateur durant une représentation. Après avoir quitté la forge, nous entrons alors chez notre hôte ; notre surprise est de taille. Nous faisons tout d’abord connaissance avec son épouse Sandrine, talentueuse artiste-potière. Puis dans un second temps, nous découvrons l’envergure de toute la passion de Julien. Aucun endroit de cette fabuleuse maison ne semble épargné par l’une des créations du couple. Les œuvres du forgeron magnétisent les lieux dans une ambiance mesurée. Nous assistons à une harmonie totale entre l’esprit de l’artisan et celui de sa moitié. De la table basse au plafonnier, de l’escalier aux appliques murales, de l’objet décoratif à la table de chevet, de l’objet du quotidien aux bijoux, tous portent l’empreinte authigène2 des artistes. Nous déambulons de pièce en pièce avec les propriétaires, à la découverte de toutes ces métaphores cérébrales. La décoration née de l’association de leurs deux mondes a si fière allure qu’elle ferait pâlir de jalousie les plus belles de celles aperçues dans les émissions télé spécialisées. Les challenges sont relevés avec ingéniosité et talent. Nous en avons une preuve flagrante devant une méduse dont le corps modelé par Sandrine est poétisé grâce au talent et à la technique de travail sur les tentacules forgés par son mari. Il pleut de la beauté !
À tel point que nous nous sommes permis un peu d’humour en demandant si quelque chose de "moche" existait dans cette demeure, histoire de désaturer nos yeux de toutes ces merveilles.
Et bien non ! Tous les bijoux exposés par Julien sont aussi resplendissants que tout ce que nous venons d’observer avec des yeux éberlués.
Il reste une chose qui émane de tout cet ensemble, c’est la marque de fabrique de Julien. Il ne peut y avoir une de ses créations, qu’elle soit de l’ordre utilitaire ou de l’ordre décoratif, qui ne se termine par une torsade, un zigzag contrôlé ou encore une volute éloquente. Ainsi au bout de chaque rambarde, il n’est pas rare d’y apercevoir une tête de dragon, une terminaison végétale ou plus simplement une extension concave ou convexe. |
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Avant de nous quitter.
C’est sur la terrasse de ce corps de ferme magnifiquement rénové et bigrement bien décoré que Julien et Sandrine nous convient à prendre un moment de détente face à l’une des vues privées les plus belles de Haute-Loire. Devant notre café sous la tonnelle, il nous vient à l’esprit une drôle de question. Julien a-t-il l’esprit tordu ou les idées de Julien sont-elles tordues ? Vous vous doutez bien que cette question est en lien avec les finitions créatives du forgeron et rien d’autre. Nous avons beaucoup apprécié cette nouvelle rencontre et nous remercions chaleureusement Sandrine et Julien pour leur hospitalité et toutes ces fascinantes découvertes.
LEGENDES
1 / Loupe : mélange hétérogène de fer, d’acier et de fonte résultant de la longue fusion de minerai de fer à l’aide de charbon de bois dans un bas fourneau.
2 / L'adjectif authigène qualifie ce qui s'est formé sur place. Plus couramment utilisé en géologie qualifiant un magma produit et consolidé au même niveau. Qualifie également une personne originaire du pays qu'il habite (comme autochtone) (Source Universalis.fr) |
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Envie
de façonner
l'acier?
Julien Fraisse
Chamb de bos,
St Etienne Lardeyrol
43800 Rosières
+33(0) 6 83 54 13 50
https://lesfeuxdelenvol.fr/
45°06'04.8"N 4°01'40.2"E
45.101327,4.027821
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