avril 2023
ÉCOTOURISME
musée local
Le musée des manufactures de dentelle, un lieu méconnu, à tort
À la découverte de l’un des cinq "musées de France" en Haute-Loire
Altilimag souhaite vous ouvrir les portes de la culture proche de chez vous. Et dans la mémoire du patrimoine local, les musées de France sont un label de qualité. Nous vous emmenons dans l’un des plus beaux témoignages d’un artisanat typiquement altiligérien.
Début décembre 2021, nous avons été reçus par l'équipe du musée de la dentelle de Retournac. Porté par la commune, ce lieu de mémoire est gardé par deux employées très passionnées.
Dès l’entrée, nous sommes charmés par les lieux lumineux, spacieux et épurés. Une grande baie vitrée nous offre une vue panoramique sur la Loire. Magalie et ses deux collègues Sandrine et Catherine sont les gardiennes de ce musée. Leurs missions sont diversifiées, de l’accueil à la démonstration de fabrication de dentelle en passant également par la vente.
En effet, sont disponibles à la vente au musée, des rééditions de cartons piqués issus des collections et des dentelles exécutées d’après ces modèles lors des démonstrations. À en voir les heures de travail indiquées pour chaque création, nous comprenons que le procédé est particulièrement minutieux tout autant que chronophage.
La visite se poursuit par un historique des lieux. Il s’agit en fait de l'une des plus anciennes manufactures de dentelle de Retournac, parmi la dizaine existant dans le courant du 20ᵉ s. et c’est aussi la seule mécanisée. Le musée est installé en lieu et place d’une ancienne manufacture construite au début de la 1ʳᵉ guerre mondiale, la manufacture "Experton frère et sœur", (Claire et Auguste). Cette manufacture connaîtra divers repreneurs jusqu’à sa mécanisation en 1984 et sa fermeture en 1997.
Auguste Experton après s'être brouillé avec sa sœur, partira en 1932 et construira sa propre entreprise à la sortie du bourg. C’est la manufacture construite par Auguste qui sera le point de départ du projet du musée à Retournac. En effet, après sa fermeture dans les années 60, les héritiers vont la laisser en l’état et la commune en fera l’acquisition en 1993. Ce n’est qu’en 1998 que la commune achètera ensuite la manufacture Claire Experton pour y établir son musée inauguré en 2007.
Nous commençons la visite au 1er étage, la scénographie est agréable, adaptée à tout public. La muséographie nous propose une découverte de la dentelle, non pas en la vulgarisant, mais plutôt en nous plongeant dans son histoire. Chaque œuvre est répertoriée et numérotée, en lien avec un carnet de visite que l’on nous a fourni à l’accueil. L’exposition permanente nous met l’eau à la bouche, et en visiteurs inexpérimentés que nous sommes, nous puisons dans ce carnet les informations qui nous permettent ainsi d'approfondir notre recherche sur l'élément nous intriguant. La mise à disposition de ce carnet est vraiment intéressante et d'une aide précieuse pour soutenir la visite. |
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Les dentellières, pionnières du "télétravail".
Historiquement, il existe au Puy -en-Velay une production dentellière dès 1608. Mais notre visite se poursuit avec l’espace dédié aux dentellières du XXᵉ siècle. À cette époque, la production de dentelle se fait à la maison. Il s’agit pour de nombreuses femmes d’un complément de revenu. L’employeur finance la matière première, le fil de lin produit en Europe du Nord, qui est acheminé par le train. La gare de Retournac est à ce jour l’un des témoins de ces importants échanges commerciaux. Enfin, l’employeur fournit le modèle en carton pour guider la dentellière. L’employée travaille sur la commande chez elle, en autonomie, et le produit fini est récupéré par la "leveuse", une dame à moto qui fait la tournée des foyers. On peut d'ailleurs retrouver son bolide exposé dans le musée. La production de dentelle à la main ne se fait donc pas dans la manufacture, mais à domicile. On pourrait voir dans la situation actuelle (télétravail) un certain retour à ce passé.
La mémoire par la voix des dentellières.
Préalablement à l’ouverture du musée, un travail d’enquête orale a été effectué par une chargée de mission. Celle-ci est allée au contact des dentellières dans les villages alentours afin de recueillir leurs témoignages. Cette base de données audio, en partie en patois, est un témoin émouvant et une perle pour le patrimoine local. Y sont ajoutés une collection de cartes postales et de fuseaux. |
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L’atelier.
Nous descendons d’un étage et arrivons dans l'ancien atelier. Aux murs, sont exposées les archives de la manufacture, sur lesquelles on peut voir des commandes destinées aux quatre coins du globe. Afin de proposer de nouvelles gammes de dentelle, le dessinateur s’inspire de la nature, d’œuvres d’art, de photographies, de catalogues de rubaneries et de ferronneries. Il est lui-même artiste concepteur, mais aussi et certainement un visionnaire à l'imagination fertile. Au sein de l’atelier, sont mêlés les stocks de fils, les modèles et les carnets de commande remplis à destination du Mexique, de l’Australie et autres destinations lointaines, conférant ainsi au lieu une ambiance à l’internationale. Cette manufacture connaîtra son apogée dans les années 50. La production est essentiellement du linge liturgique (aubes, devant d’autel, rocher…) et des pièces pour l’ameublement (rideaux, nappes, dessus-de-lit, stores, devants de cheminée...).
Retrouver ses ancêtres à travers le numérique.
Sur un des écrans à disposition dans cet espace, on nous propose d’effectuer une recherche de dentellières par nom de famille et par commune. En Haute-Loire, vers 1860, on en recensait 70 000 pour une population de 300 000 habitants. Nous imaginons intimement l’émotion d’un enfant en visite, découvrant que son arrière-grand-mère fournissait cette manufacture. Pour les femmes, la dentelle était synonyme de rencontres, d’interactions sociales, à l’image du bistrot rural pour les hommes. Lors de longues veillées, on travaillait et on racontait des histoires, bercé par la chorégraphie des fuseaux à la lumière d’une bougie. On appelait cela le couvige. |
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La mécanisation, la fabrication en rythme.
Nous reprenons les escaliers et arrivons dans la dernière salle d’exposition permanente. Dans une partie de cette salle, on retrouve une reconstitution de l’atelier de dentelles mécaniques qui n'avait pas moins de 34 métiers, installé ici en 1984 par le dernier repreneur. Devant nos yeux attentifs, la machine circulaire est composée de bobines de fils de coton, moins onéreux que le fil de lin utilisé traditionnellement pour la dentelle main, positionnées sur toute sa circonférence. La machine est commandée par un carton Jacquard, même procédé que pour les orgues de Barbarie ou les pianos mécaniques, qui fait office de chef d’orchestre. C’est ce dernier en effet qui va mettre en mouvement la bobine concernée au moment voulu tandis que les autres resteront fixes. Le résultat est un ballet de bobines, dans un vacarme assourdissant propre aux mécanismes des ateliers de tissage. Le rendement moyen est de dix mètres à l’heure. Il y a même eu une production de dentelles avec du fil plastique. Ainsi, on pouvait fabriquer les bigoudis de nos grand-mères, certains emballages comme les filets à oranges, mais aussi le fil enveloppant la fameuse et célèbre rosette lyonnaise.
Dans la seconde partie de la salle, des vitrines mettent en scène l’élégance, à travers l’exposition de robes et de multiples créations toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Ces pièces sont un panel de la production d’une manufacture main du XXᵉ. Le parcours de visite s’achève par la salle d’exposition temporaire, grande et lumineuse, donnant sur le parc du musée, théâtre de diverses expositions textiles ou en lien avec la dentelle.
La dentelle au secours du corail.
Nous revenons à l’accueil où Magalie nous présente, avec l'ardente passion qui la caractérise, un module régulièrement réactualisé. Il s’agit d’un projet des plus étonnants. Jérémy Gobé, artiste plasticien, a découvert une similitude particulièrement cocasse entre le savoir-faire traditionnel qu'est la dentelle du Puy, sur laquelle il travaille, et les coraux pour lesquels il se passionne. De la ressemblance des formes créées dans les deux cas, il en a imaginé des supports en dentelle pour faciliter la régénération des coraux. Si ce sujet vous intéresse, rendez-vous sur la page de l’artiste : https://www.jeremygobe.info.
Pour aller plus loin.
Une association est rattachée au musée : La Société des Amis du Musée des Manufactures de Dentelles. Association loi 1901, elle a été créée en 1996 pour soutenir le projet de ce splendide Musée. Elle a pour but de "donner son appui au musée, de contribuer à l’enrichissement des collections, à l’amélioration de ses aménagements et au développement de son rayonnement auprès du public, en France et à l’étranger".
La dentelle n’est pas uniquement basée à Retournac, le Puy-en-Velay est également un berceau cet artisanat. Il existe dans cette ville un centre d’enseignement de la dentelle au fuseau dans lequel on peut retrouver un espace dédié à une partie de l’exposition du musée Crozatier. C’est certainement grâce au pèlerinage de Compostelle que cet artisanat est arrivé au Puy-en-Velay. La dentelle dite "du Puy" a ensuite rayonné sur l’ensemble du département. La ville de Brioude possède, elle aussi, son hôtel de la dentelle et son centre d’apprentissage. Retrouvez toutes les infos sur : www.hoteldeladentelle.com
LÉGENDES
1 / Le métier Jacquard est un métier à tisser mis au point par le Lyonnais Joseph Marie Jacquard en 1801, premier système mécanique programmable avec cartes perforées. |
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Envie
de filer
du lin?
Musée des Manufactures de Dentelles
14 avenue de La Gare
43130 Retournac
+33(0) 4 71 59 41 63
www.dentellesretournac.fr/
45°12'09.6"N 4°02'03.3"E
45.202665, 4.034239
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