mai 2024
ARTISANAT
Tourneur ébéniste
Le murmure des veinages et des essences de bois
Nous avions rencontré Fabien Dreyfus sur les marchés artisanaux de Haute-Loire, notamment celui de Tence et celui estival et nocturne de Saint Jeures. Sur son stand, aussi intrigant qu’attirant, l’artiste tourneur sur bois nous avait dépêché un sourire complice sur lequel nous n’avions plus qu’à appuyer notre frénétique curiosité.
Comme par évidence, le contact est pris et c’est à Montfaucon, chez lui, au calme, que nous avons rejoint le tourneur d’Anticbois pour ne pas le déranger sur ses lieux de vente. À cet instant nous découvrons un homme particulièrement singulier qui avec une sincérité verbale nous exprime sa façon de vivre le bois en tant qu’artisan.
Ce qu’il évoque en priorité c’est le besoin de partager son savoir, mais aussi de travailler de concert avec d’autres artisans, d’autres associations ou d’autres entités porteuses de projets. Parce que fédérer les personnes évitent qu’elles ne s’isolent et perdent peu à peu leur capacité à exprimer leur talent artistique. Pour cela, Fabien met humblement en œuvre un support qui pourrait devenir le début d’un projet commun aux artisans altiligériens, en particulier sur le plateau du Vivarais-Lignon.
Faire prendre conscience à chacun sur ce bout de territoire de ce qui est inspirant pour les uns et les autres et de comprendre comment jouer le jeu de la transmission du savoir-faire local est tout l’enjeu commun de ce programme. Cela démontrerait ainsi qu’ensemble, en passant le cap du simple échange de points de vue, chaque artisan d’art ou pas, soit naturellement acteur de l’héritage culturel en ce lieu d’émerveillements. La réussite viendra du fait que travailler en réseau est le postulat de départ, sans cela difficile d’avoir une visibilité parfaite sur le succès individuel. Voici donc ce qui anime au fond notre nouvel ami, parfaitement conscient de la force que représente l’alliance artisanale dans un environnement fait d’incertitude et d’esseulement.
Un rapport élémentaire et déterminant avec le bois.
Vous tous ou presque connaissez le site de vente d’occasion Leboncoin. Mais avez-vous déjà vu un homme «bugger» devant une annonce de vieilles planches de bois sec stockées dans un hangar depuis plusieurs décennies?
Et bien nous non plus et pourtant c’est bien ce qu’il s’est produit avec Fabien pendant qu’il nous expliquait comment il s’approvisionnait en matière première.
La limite de la larme à l’œil franchie, il regarde cette annonce de vieux chêne et instinctivement comprend qu’une grande histoire vient de naître sous ces yeux embués d’affection. Curieux de comprendre nous aussi ce qu’il se trame derrière ces quelques gouttes oculaires, nous interrogeons le tourneur.
Une simple image du lieu de stockage du bois, sentir l’odeur de son essence, se trouver en contact physique et charnel avec le veinage d’une planche, comprendre la provenance historique de la matière, éprouver si le matériau est noble et Fabien se met à murmurer aux planches son désir de vivre intensément une allégorie commune. |
|
|
|
|
|
Au-delà du pan créatif qui définit le rapport entre le tourneur et la matière végétale, ce qui plaît à Fabien est aussi le contact avec le vendeur. Parce que souvent, ce dernier est l’authentique garant de la provenance générationnelle du bois acheté. Si et seulement si notre acheteur de bois ressent la possibilité de parler au bois qu’il convoite, il n’hésitera pas à parcourir de longues distances, parfois sur plusieurs jours, pour s’approvisionner en chêne, merisier ou encore frêne mais pas trop le châtaignier qui n’est pas son préféré. Gardant toutefois à l’esprit qu’il privilégie le circuit court quelque peu élargit aux départements voisins de l’Auvergne sans s’imposer de véritables limites géographiques, car avant tout et contre toute opposition, le bois et ce qu’il peut partager avec lui, priment sur toutes les décisions à prendre.
C’est aussi parce que Fabien fait des rencontres à échelle humaine lors de ses déplacements et que chacune d’entre elles laisse un témoignage profondément ancré dans son âme passionnelle qu’il est capable de narrer avec exactitude la provenance de tel carré de bois, de telle planche ici ou là dans son atelier. Cela est impressionnant à notre niveau, mais il se défend de toute capacité extravagante en se retranchant derrière le fait qu’il n’achète pas de bois en quantité astronomique non plus. Mais vous l’aurez compris l’important en finalité c’est le lien tissé avec la matière, l’histoire et ce qui en découlera au sortir du tournage.
Une créativité insolite et débordante.
Le nom de sa société Anticbois pourrait faire penser à la période antique et pourtant Fabien nous l’assure : «rien à voir !». Cela est du seulement au clin d’œil venant de l’ancestralité du bois et des métiers associés à ce matériau.
La motivation de ce patronyme sociétal met en valeur le travail d’autrefois, car depuis la nuit des temps le bois a été travaillé, tourné sur des tours non mécanisés qui se manipulaient avec une simple ficelle. C’est donc pour Fabien sa façon de rendre hommage à ce métier immémorial.
Pourtant ses créations ont, elles aussi, un «on ne sait quoi» de comparable aux poteries antiques, ce qui les rend uniques en leur genre. Mais il n’existe aucun lien entre l’antiquité historiquement parlant et la créativité insolite de ce tourneur affectif. Hormis le fait que les bois travaillés sont plus âgés que lui et que là encore c’est une façon de rendre hommage à un patrimoine.
Il nous livre pour exemple une petite anecdote. Il est parti acheter du bois à Chambery, un bois âgé d’une cinquantaine d’années et qui avait séché quarante ans. En additionnant les deux sommes, le bois avait approximativement 90 ans. Il a donc probablement connu la Seconde Guerre mondiale et fut certainement témoin de la résistance autour de cette ville. Donc quand Fabien a transformé ce bois en objet d’art c’est de toute évidence qu’il a transmis ce passif historique à l’acquéreur. La symbolique est si fortement prégnante que ces argumentations de vente tellement authentiques deviennent essentielles et protègent notre artiste de la fébrilité du marketing de masse.
Maîtrise technique, savoir-faire et démonstration talentueuse.
Fabien nous invite dans son atelier. Il éprouve une petite gêne, car il pense que cet atelier est peu présentable eu égard au pseudo-bazar qui y règne. Nous le rassurons, c’est bien cela qui exalte l’authenticité du reportage et qui permet de nous imprégner de sa passion. En effet, il y a ici une atmosphère de désordre et pourtant comme il s’agit d’une multitude d’essences de bois odorantes, en fermant un peu les yeux, nous pourrions nous croire dans une forêt enchantée prête à se laisser envoûter par l’influence d’un extraordinaire tourneur.
Fabien s’empare d’un bloc de bois octogonal d’environ dix centimètres d’épaisseur et le met en place sur son tour tout en nous expliquant chacun de ses gestes. Prenant à cœur autant l’art que la sécurité, il nous équipe d’un casque avec visière pour nous protéger des éclats de bois lorsque la machine sera en marche. Une fois le tour lancé à sa vitesse de croisière en adéquation au type d’essence utilisée, Fabien muni de l’une de ses gauges commence à façonner la pièce de bois pour l’arrondir sur son pourtour, éliminant peu à peu les disgracieux côtés de l’octogone. Très concentré qu’est notre technicien, nous devinons sans peine que l’idée finale de cet objet est déjà en place dans son esprit. |
|
|
|
Sans trop forcer sur l’outil, petit à petit il supprime de l’épaisseur et commence à former l’aspect global de sa création qui de derrière notre visière ressemble à un bol. Avec une autre gauge, il creuse deux traits parfaitement parallèles. Le tour toujours en pleine action, Fabien fait pénétrer une corde de guitare quelques secondes dans les sillons récemment creusés. Il génère ainsi une sorte de brûlure sur le bois qui restera marqué de cette couleur assombrie. Un léger fumet de brûlé et un peu de fumée envahissent agréablement le tour, changeant l’ambiance de l’atelier en un «instant barbecue». Il ne manquaient que les saucisses ! |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Toujours en mode «ça tourne très vite», l’artiste poli méticuleusement à l’aide d’un papier de verre spécifiquement fin, ce bois qui jusqu’ici résistait à devenir une création artistique. Presque par magie, l’extérieur de l’objet devient aussi lisse qu’une peau de bébé et au toucher c’est vraiment très agréable de promener ses doigts dessus. |
|
|
|
Avec une gauge munie d’une roulette crantée, Fabien génère des stries entre la base basse du bol et les deux sillons du haut. C’est une des multiples particularités de l’esprit créatif du tourneur. Vous découvrirez comme nous à la fin de cette expérimentation un résultat étonnant et qui donnera à ce bol une touche inusitée.
Le dessous du bol est lui aussi travaillé et marque ainsi une sorte de signature technique de l’artiste. |
|
|
|
Vient le moment d’inverser la pièce de bois et de creuser son intérieur afin de lui donner son aspect utilisable.
N’allez pas croire à cet instant que ce creusement soit aléatoire. Fabien nous explique qu’il faut bien calculer la profondeur ainsi que l’épaisseur de la matière, sinon le risque de rater la finalité de l’objet nous pend au bout du nez.
L’intérieur du bol, lui aussi, voit le papier de verre venir le frotter pour que la cohérence soit totale avec l’extérieur. |
|
|
|
La pièce a fini de faire des tours de manège, elle va descendre du tour pour passer à la séance de huilage qui fixera les tanins et lui donnera son teint cuivré et chaud. C’est avec de l’huile de pépin de raisin que Fabien peaufine cette dernière phase avant de nous offrir ce bol en souvenir de cette sympathique rencontre boisée.
Avant de nous quitter, nous prenons quelques photos des quelques objets créés durant l’hiver et profitons de cette occasion pour vous reparler du style antique de ces œuvres. Certaines pièces sont partiellement noires. Le mélange des deux teintes leur confère une comparaison possible avec l’argile rouge et les teintures des poteries antiques, d’où nos interrogations au début du reportage. Mais en fait, la comparaison est fortuite, car l’artiste est venu à la technique de l’ébonisation bien après le choix du nom de son entreprise.
L’ébonisation est obtenue par une réaction chimique entre l’acétate de fer et les tanins naturels du bois. Substances naturellement sécrétées par les arbres, les tanins sont présents en proportions variables suivant les essences. Au plus, le bois sera tanique, au plus l’ébonisation sera prononcée. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
En finalité, ces différentes techniques de travail donnent un résultat incroyablement atypique aux créations de Fabien.
Nous avons été admiratifs de la personnalité vraie et du savoir-faire partagé de Fabien. Par dessus la leçon technique de métier et l’aura de son récit, nous avons eu le plaisir de rencontrer ce tourneur et de vivre un instant sa passion atypique. |
|
Nous le remercions grandement pour son accueil, son temps et son cadeau qui nous faire dire qu’aujourd’hui nous avons eu du bol. |
Envie
d'un peu
de bol ?
Anticbois
Fabien Dreyfuss
14 lotissement Perce Neige
43290 Montfaucon en Velay
Du lundi au vendredi : de 8H30 à 18H00 Hors saison
(Appel téléphonique recommandé)
Samedi - Dimanche : Sur rendez-vous
+33(0) 6 24 43 85 97
www.anticbois.fr
45°10'46.7"N 4°19'05.7"E
45.17965691130665, 4.3182677269318885
AUTRES ARTICLES À DÉCOUVRIR
ARTISANAT
transmission naturelle
ARTISANAT
Forge de caractère
ARTISANAT
Vitrailliste de talent
|