avril 2023
ARTISANAT
passion rocailleuse
Murailler; un métier à la pierre dure et sèche
D'ancien métier, il en est un que François-Christophe Januel exerce avec passion et talent.
La Haute-Loire possède un patrimoine très riche, mais il se peut que celui, dont nous allons vous parler, soit peu ou mal connu. L'architecture vernaculaire est souvent la preuve qu'ici se jouent des métiers mystérieux et pourtant visibles à chaque coin du département. Nous avons rencontré François-Christophe Januel et il nous a présenté son métier, celui de murailler. Ce métier artisanal et artistique consiste à bâtir des ouvrages en pierres sèches. Ce qui signifie tout simplement qu'il n'y a aucun mortier pour lier les pierres entre elles. Tout réside dans l'art de les choisir, de les positionner et de les caler. Partons à la découverte de ce métier d'antan qui fait un retour en force dans le milieu de l'artisanat.
Sans le savoir, nous avons sous les roues de nos voitures, cachés sous le bitume, des vestiges de murs de pierres sèches pouvant dater de l’époque Gallo-Romaine. Ces traces du passé tiennent encore les soubassements de nos routes. Bien sûr, sauf à creuser très profondément, nous ne les voyons plus.
En revanche, au bord des routes, dans les villages ou dans les champs agricoles, les murs de pierres sèches sont bien là. Ces blocs de basalte empilés et calés méticuleusement sont faits pour durer des centaines d’années. Alors par habitude, nous n’y prêtons plus attention.
Pourtant, ces murs font partie de notre patrimoine culturel local. Beaucoup d’entre eux sont plus que centenaires et ils sont debout, légèrement bedonnants sous la pression de la terre en perpétuel mouvement, mais jamais, ils n’ont plié. "Solide comme un roc" dit l’adage, nous en avons la preuve permanente sur tout le territoire. Autrefois, les paysans bâtisseurs avaient cette activité courante en plus de leurs travaux habituels.
Après avoir délimité les herbages, ils épierraient pour construire en terrasse afin de gagner de nouveaux espaces cultivables. Si dans les années 50, on a pu observer le déclin de l’entretien des murs de pierres sèches au profit de clôtures modernes, moins onéreuses et plus rapides à installer, c'est que les moyens humains et financiers ainsi que le temps sont venus à manquer. |
Un respect indéniable pour l'environnement.
Au-delà du solide intérêt pour l’agriculture, ces murs de pierres sont aussi d’une incontestable utilité sur le plan écologique. Ce qu’il faut ainsi retenir, c’est qu’ils abritent une diversité végétale et animale très riche et qu’ils constituent un filtre naturel pour l’eau qui s’écoule entre les espacements des pierres, l’empêchant ainsi de prendre des vitesses excessives lors de fortes précipitations. Ils permettent également de retenir la terre et conservent de ce fait une hygrométrie idéale pour la culture. Ils absorbent la chaleur solaire le jour pour en restituer une partie la nuit, protégeant de la sorte les cultures précoces face au gel. Lors d’incendies, ils peuvent aussi jouer un rôle de barrière contre la propagation du feu. La liste des "bienfaits" de ces murs en pierres sèches est longue et s’étend même jusqu’à l’émission de CO2 dans l’atmosphère. Si l’on compare entre un bâti ciment et un en pierres sèches, voici ce que l’on peut obtenir comme différence : pour 1m3 de construction liée au ciment, il faut compter 1 600 kg de CO2 rejetés uniquement pour fabriquer le béton et on ne parle pas du transport. Pour 1m3 de pierres sèches, le bâtisseur lui boit un litre d’eau, soit 0,0001 kg de CO2 émis et souvent la matière première se trouve à proximité du bâti, donc avec un transport très limité.
Vous l’aurez compris, la pierre sèche peut être essentielle dans la course contre la dégradation climatique que nous vivons aujourd’hui. François-Christophe Januel (FC) par son métier de murailler apparait ainsi comme un acteur incontournable de cette lutte. |
Un chantier hors du commun.
Sur le chantier du nouveau parking de la Cascade de la Beaume, situé sur la commune de Solignac-sur-Loire, nous avons rejoint notre murailler pour qu’il nous décrive sa passion, son art et sa philosophie du travail.
Il ne travaille pas seul, il est assisté de son comparse Manuel Duveau et de Mehdi Dolmy leur apprenti qui sont absents à notre arrivée, car partis à la recherche de matière première. Tous trois ont la mission de créer un belvédère sécurisé en contrebas du futur parking afin que les touristes et autres admirateurs de la nature puissent contempler, en surplomb, la cascade. Nous descendons derrière FC découvrir l’observatoire de basalte.
En chemin, FC nous montre des blocs volumineux aux formes longilignes qu’ils ont fait venir d’une carrière à proximité. Oui, c'est assez contradictoire ! En effet, l’entreprise de BTP qui œuvre pour la construction du parking a découvert l’insoupçonnable en creusant au Caterpillar ; la terre sur les lieux est claire et ne possède pas de grosses pierres en son sein ! Ainsi, pour les pièces les plus imposantes et nécessaires à leur construction, nos muraillers ont dû modifier leur plan d’action en faisant contre mauvaise fortune preuve de bon sens. Ces blocs aux formes rectangulaires seront utilisés à la base des murs comme nous l’explique FC. Tout en marchant, nous demandons à FC s’il a toujours pratiqué ce métier. La réponse est négative : il était professionnel du tourisme auparavant et c’est une reconversion choisie qu’il l’a amené à exercer ce métier somme toute très physique et qui doit sans aucun doute le changer d’un bureau, d’une chaise et d’un public parfois trop nombreux. Cela fait maintenant quinze ans qu’il est murailler de profession et qu’il en est très heureux.
Nous arrivons au belvédère et l’emplacement choisi par la communauté d’agglomération n’est pas dû au hasard. Le cadre naturel est somptueux. Mais les murets en pierres sèches sont tout autant impressionnants. Un seul de ces murets représente près de six tonnes de basalte à déplacer, à porter et à caler, à raison de 2,6 à 3 tonnes par mètre cube ! Très franchement, même avec de l’entraînement, nous ne sommes pas tous faits pour ce métier ! Quant à la technique, FC nous explique qu’il place d’abord les plus grosses pierres pour les fondations. Puis des moins grosses tout en laissant de temps à autre une place pour insérer malgré tout quelques gros blocs. Les plus petites pierres seront placées sur l’avant-dernier rang pour finir encore avec des plus gros blocs quand cela est possible. Dans le cas contraire, s'il ne dispose pas de pierres suffisamment imposantes pour la finition, il placera alors des pierres sur champ. Cette façon de terminer le bâti s’appelle aussi "le casse pattes", ancienne appellation utilisée par nos aïeux qui avaient des chèvres ; ainsi, ils empêchaient ces dernières aux pattes fragiles de monter sur les murs, repoussées par le tranchant des pierres. FC nous dit que ça marche aussi pour les enfants, ce qui n’est pas négligeable quand on a des casse-cous à la maison ! Nous observons alors FC nous faire une démonstration bien que l’ensemble du belvédère soit déjà en phase d’être terminé. Mais pour les explications, il fallait bien une démo en "live". Les murets assemblés forment des ensembles solides, mais aussi très esthétiques, donnant un côté artistique qu’on pourra observer sur des architectures moins publiques, comme notamment, des fours à pain, des chibottes*, des intégrations de banc dans un mur, des puits, des terrasses avec escaliers ou encore des fenêtres sur certaines maisons. Des éléments observables principalement chez les particuliers. |
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À l'épreuve de l'assaut du temps.
La solidité de ce type de bâti en pierres sèches est garantie par le nombre des années. Ce qui en fait en finalité une construction onéreuse au départ, mais bien moins qu’un ouvrage cimenté qu’il faudra certainement, avant son centième anniversaire, démonter, dépolluer et rebâtir pour un coût bien supérieur. Ce métier de murailler venu tout droit des méthodes ancestrales est aujourd’hui le reflet d’un retour à l’artisanat d’art et de ses techniques faites pour durer. En plus d’en faire son métier, FC via l’Association Les Jardins Fruités** dispense quelques sessions de formation trois samedis par an, entre septembre et octobre. Manuel et Mehdi étant de retour, nous faisons alors leur connaissance et comprenons rapidement malgré nos chaleureux échanges qu’ils veulent en découdre avec le reste de leur "création rocheuse". Normal, il est déjà près de 11h00 du matin, le soleil s’annonce brûlant et il va falloir force, courage et passion pour finaliser ce qui nous a paru être du domaine de l’impossible pour nos petits bras de reporters. Nous décidons donc de les laisser faire leur travail. N’en doutez pas, aucun d’entre eux ne va à la salle de sport après le travail, excepté Mehdi qui nous confie aller courir après, mais c’est sûrement parce qu’il est un grand sportif !
Nul doute également que travailler huit mois par an en extérieur, dans des décors grandioses comme celui-ci, fasse un peu envie tout de même. Mais ne rêvons pas tout de suite, FC nous informe qu’il faudra au moins deux ans de formation pour atteindre un niveau suffisant et prétendre être murailler.
LÉGENDES
* Les chibottes ou tsabones étaient, au XIXe siècle, des habitations temporaires ou saisonnières dans les champs et les vignes. Ainsi des habitants du Puy-en-Velay qui possédaient une vigne à Vals-près-le-Puy, y avaient généralement une chibotte qu'ils occupaient le dimanche et pendant l'été (source Wikipédia).
** www.facebook.com/Jardins-Fruités-1677560209164226
avec des personnes extraordinaires et accueillantes qui nous ont permis de découvrir un métier bien de chez nous et hors du commun.Une belle rencontre
Merci à eux. |
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Chibotte réalisée par François et Manuel à Vals-Près-Le-Puy |
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Envie de bâtir
en pierres
sèches?
François-Christophe JANUEL
Artisan Murailler
francois.januel@wanadoo.fr
+33(0) 6 80 73 67 97
+33(0) 4 71 04 19 10
www.francoisjanuel.canalblog.com
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